Jugement historique pour les Premières Nations

Un regard sur le monde à travers les yeux d'un autochtone

Voilà une bonne nouvelle ! 

DROIT ANCESTRAL
Photo : Darryl Dyck La Presse canadienne
Une toute première nation autochtone vient de voir le titre ancestral de son territoire reconnu par la Cour suprême du Canada. Un jalon qui vient avec un « droit exclusif » de décider de l’utilisation de ces terres et d’en bénéficier. Et une décision qui vient alourdir le fardeau pour les gouvernements et les entreprises qui voudront y exploiter les ressources naturelles avec des projets comme Northern Gateway.
 
Dans un jugement historique en droit autochtone, et unanime, le plus haut tribunal du Canada stipule que les Premières Nations ont le premier et dernier mot quant au sort de leurs terres ancestrales. Si le gouvernement fédéral veut empiéter sur ces territoires, les conditions sont strictes : l’État doit s’entendre avec la communauté concernée et obtenir son consentement. Sinon, il doit prouver — preuves à l’appui — qu’il a un « objectif public impérieux et réel », mais que pour l’atteindre il ne détruira pas le territoire pour les générations présentes et futures. Les préjudices de cet empiétement doivent en outre être moindres que les avantages qui en découleraient, note la Cour dans sa décision rendue jeudi.
 
La cause remonte à 1989. La nation de Tsilhqot’in s’opposait alors au permis de coupe de bois accordé par la Colombie-Britannique sur ce territoire du nord de la province. Les procédures ont traîné des années durant avant que la Cour suprême de la Colombie-Britannique reconnaisse en 2007 le titre ancestral des terres revendiquées par la nation. Cinq ans plus tard, la Cour d’appel infirmait cette décision.
 
La Cour suprême est venue réitérer jeudi l’interprétation du juge de première instance, notamment quant au niveau d’« occupation » du territoire nécessaire pour accorder le titre de terre ancestrale. Le banc de la Cour suprême a adopté une interprétation moins rigide de ce critère, en acceptant les habitudes des communautés semi-nomades. La juge en chef Beverley McLachlin écrit que « suivant une approche qui tient compte des particularités culturelles, l’utilisation régulière des terres pour la chasse, la pêche, le piégeage et la cueillette constitue une utilisation “ suffisante ” pour fonder un titre ancestral ».
 
Un veto autochtone aux projets énergétiques ?

La victoire de la nation Tsilhqot’in, dont 1750 km2 viennent d’être reconnus terre ancestrale, vient compliquer l’avenir du développement économique sur les terres autochtones. Notamment pour Enbridge, qui espère faire passer son pipeline Northern Gateway dans le nord de la Colombie-Britannique, où pratiquement tout le territoire est revendiqué comme terre ancestrale par des Premières Nations.
 
La décision ne sonne pas le glas de tels projets. Mais elle impose des balises contraignantes à ceux qui veulent les développer en terres autochtones, notamment d’obtenir le consentement des communautés.
 
Le sort de Northern Gateway est aujourd’hui « beaucoup moins clair », selon Gordon Christie qui dirige le programme d’études de droit autochtone à l’Université de la Colombie-Britannique. Car voyant que Tsilhqot’in a eu gain de cause, d’autres nations pourraient à leur tour s’adresser aux tribunaux pour revendiquer le titre ancestral et demander entre-temps une injonction pour bloquer tout projet sur leurs terres. « Ça ajoute un autre obstacle au projet […] Si ça arrive, cela ralentit les choses de façon dramatique. »
 
Les avocats de la nation haïda — située dans le nord de la province et en plein sur le trajet du pipeline Northern Gateway — y ont déjà pensé. La communauté a entamé les procédures pour que ses terres soient reconnues ancestrales. « Cela fait effectivement partie de la stratégie légale, d’introduire une demande d’injonction », a indiqué Terri-Lynn Williams-Davidson. D’autres communautés, qui s’opposent aussi au pipeline, poursuivent de mêmes démarches, a-t-elle rapporté.
  
Ottawa forcé de s’entendre

Cette décision de la Cour suprême vient en outre donner des munitions aux Premières Nations qui négocient leurs droits territoriaux avec Ottawa, selon Chris Tollefson de l’Université de Victoria. D’une part, les communautés constatent qu’elles pourraient avoir gain de cause en s’adressant aux tribunaux. De l’autre, le fédéral « pourrait conclure qu’il serait mieux avisé d’adopter une approche de négociation qui soit plus généreuse avec ces nations, pour éviter les procédures judiciaires », croit le professeur de droit.
 
Le gouvernement fédéral a indiqué qu’il révisera la décision. « Notre gouvernement croit que la négociation constitue le meilleur moyen de régler les revendications fondées sur les droits et titres ancestraux », a fait valoir par communiqué le ministre des Affaires autochtones Bernard Valcourt.
 
Or, le porte-parole de l’Assemblée des Premières Nations et chef régional pour le Québec et le Labrador, Ghislain Picard, juge comme M. Tollefson que la Cour suprême vient d’établir une jurisprudence qui donne « une arme de plus pour les nations qui jugeraient que le processus de négociation ne va pas de bon rythme ». Elles pourraient se tourner vers les tribunaux, question d’accélérer les choses et d’obtenir plusieurs droits en retour, croit-il.
 
Quant à l’avenir du développement économique en terres autochtones ? « Le rapport de force est changé de façon significative en faveur des nations autochtones pour tout projet qui pourrait être envisagé sur tout territoire où elles revendiquent un titre », résume Ghislain  Picard.
 
Le chef du conseil de Tsilhqot’in s’est réjoui de cette décision, qu’il n’attendait pas.« C’est la fin de la négation des droits et du titre […] Cette cause, c’est nous qui regagnons notre indépendance — de pouvoir gouverner notre propre nation et dépendre des ressources naturelles de notre terre », a réagi Joe Alphonse.
 
Le NPD conclut également que le jugement « vient confirmer que tous les paliers gouvernementaux doivent consulter les Premières Nations et obtenir leur consentement ».