Québec, une invention amérindienne?

Les Européens et les Premières Nations n’ont jamais été aussi près l’un de l’autre qu’en 1608
On a parfois tendance à oublier que la fondation de Québec, il y a 400 ans, n’est pas l’œuvre d’un seul homme, en l’occurrence Samuel de Champlain, mais qu’elle résulte plutôt d’intérêts mutuels d’Européens et d’Amérindiens qui, des deux côtés, souhaitaient faire des affaires. Sans cette volonté commune de construire des alliances où chacun croyait y trouver son compte, Québec et la Nouvelle-France n’auraient peut-être jamais existé.
  
«Lorsque Champlain accoste au lieudit Québec, le 3 juillet 1608, son équipage comporte une trentaine d’hommes tout au plus. Les Français se retrouvent ainsi face à quelque 1 500 Amérindiens, des Innus pour la plupart, qui les accueillent de façon amicale», a rappelé l’anthropologue Serge Bouchard lors du Bar des sciences qui a eu lieu le 4 juin, au bistro de l’Espace 400e, avec l’historien Denis Vaugeois et Denys Delage, professeur au Département de sociologie. Thème de la discussion: «Québec, une invention amérindienne?». D’entrée de jeu, les participants à l’événement ont ainsi convenu de la nécessité de replacer les choses dans leur contexte. «Déjà, en 1603, Champlain avait conclu des alliances avec les Amérindiens près de Tadoussac, a souligné Serge Bouchard. Il n’était donc pas un inconnu pour eux. Les Amérindiens rêvaient d’une alliance avec une nation européenne fiable afin de pouvoir se procurer des biens matériels d’Europe, tels du métal, des chaudrons et des perles. Les Français, eux, voulaient des fourrures.»

Nous étions ensemble
Selon Denis Vaugeois, il est clair que les épidémies ont marqué le début de la fin pour les Amérindiens qui n’étaient pas immunisés contre des virus et maladies comme la variole ou la grippe apportés par les Européens. «Sans ces épidémies ayant décimé près de 90 % de la population autochtone, rasant des villages entiers, les forces en présence auraient été beaucoup plus équilibrées et, qui sait, les Amérindiens formeraient peut-être la majorité de la population québécoise aujourd’hui», estime Denis Vaugeois. En effet, lorsque les Européens arrivent au Québec au début des années 1600, la population amérindienne est très organisée, ayant créé un important réseau d’alliances économiques avec d’autres tribus et nations. On est très loin de l’image de l’Indien passif et innocent qui attend la lumière venue d’Europe. Quatre siècles plus tard, comment se fait-il que le rôle des peuples autochtones dans la fondation de Québec ne soit pas davantage mis en évidence dans notre histoire?
  
«Donner la parole à ceux qui étaient là est peut-être une façon de refaire l’histoire, dit Denys Delage. Il faut être lucide et chercher à comprendre le rapport colonial qui s’est institué entre les deux parties pour pouvoir s’en dégager.» Veut-on vraiment construire un Québec sans l’apport des Premières Nations et en taisant leur rôle dans l’histoire? C’est la question. Serge Bouchard estime que les Québécois ont un problème d’identité. Qui sommes-nous en tant que peuple? Comment nous définissons-nous? Voilà l’autre question à se poser. Il faut cependant se réjouir du renouveau touchant les recherches historiques sur les Autochtones depuis 30 ans au Québec, estime Serge Bouchard. «Le silence serait terrible, affirme l’anthropologue. Je crois et j’espère que nous allons finir par nous rejoindre, car nous étions et nous sommes toujours ensemble.»      
Un regard sur le monde à travers les yeux d'un autochtone